Déminer, un métier
Un reportage de Frédéric Bassemayousse
Sans eux, pas de farniente sur les plages ni de ballades aquatiques et subaquatiques. « Eux », ce sont les Plongeurs Démineurs de la marine nationale qui œuvrent depuis 1945 pour sécuriser la mer. Rencontre avec des hommes courageux qui pratiquent un métier parfois controversé.
Durant la deuxième guerre mondiale, l’équivalent de 200 bombes atomiques d’Hiroshima furent utilisées en Europe. A la fin du conflit, des milliers de tonnes d’engins non explosés, gisaient encore sur les façades côtières et sous la mer. Afin de remédier à cela, la marine nationale mit en place des unités spécialisées dans le déminage sous-marin. Héro en 1945, les plongeurs démineurs véhiculent à présent une mauvaise réputation due à leur activité de destructions d’engins explosifs en mer. C’est pourtant grâce à leur courage que nous pouvons pratiquer nos activités aquatiques et subaquatiques en toute sécurité.
Dans six mètres d’eau, à proximité d’une coquette villa Corse, le second maître Clément arc-bouté sur une longue barre de fer, peine à déplacer une lourde mine à orins. A ses côtés, le second maître Cutayar, à grand renfort de coups de marteaux sur un burin, décolle la partie de l’enveloppe d’acier soudée à la roche. Le travail est pénible et dangereux. En effet, lors de l’expertise, il est apparu qu’une des « cornes » de l’engin était toujours en place. L’opération n’est pas anodine et la gendarmerie a fait évacuer les villas sur un périmètre de 800 mètres.
"La mine n’est probablement plus active car l’eau a pénétrée à l’intérieur , expose le premier maître Ben, le directeur de mission, mais la présence de la corne, un des systèmes de mise à feu, est inquiétante.
C’est un engin qui contient 150 kg d’explosif et à cette profondeur la charge est suffisante pour souffler toutes les baies vitrées du village voisin, et éparpiller les plongeurs par petits bouts façon puzzle (rire) !".
Les plongeurs requis pour cette opération n’en sont pas à leur première mine, certains ont même participé à des actions de déminages lors des conflits du Moyen orient ou de Bosnie. C’est une expérience qui leur permet d’exécuter leur travail avec calme et sang-froid.
Après une heure d’acharnement, la mine est libérée de la gangue de rouille qui la retenait sur le fond. A présent, les deux démineurs l’entravent dans un filet relié à un sac qu’ils remplissent d’air. Accompagnée par des volutes de sédiment, la charge s’ébroue et quitte définitivement le sol pour monter lentement vers la surface.
En 1943, craignant un débarquement dans le golfe de Sagone, les Italiens avaient déroulé une immense chaîne de mines afin d’entraver toutes actions maritimes. A la libération de la Corse, elles ont servies de cibles aux tireurs. Alors que certaines sont parties en fumée, d’autres, à présent inertes, ont rejoints le fond de la mer une fois leur enveloppe percée. Sphériques, elles ont roulé et sont venues s’échouer le long des côtes. C’est un scénario classique de l’après-guerre tout le long du littoral français et, pour des raisons évidentes de sécurité, la priorité était de détruire rapidement ces milliers de tonnes d’engins explosifs.
Mais en 1945, la marine ne disposait pas suffisamment de plongeurs pieds lourds pour mener à bien ce colossal chantier. Le commandant Philippe Taillez surmonta le problème en créant une commission d’action qui avait pour mission de former des plongeurs autonomes et de tester un détendeur à air conçu en 1943 par l’ingénieur Gagnan et l’enseigne de Vaisseau Cousteau. Devant l’incontestable efficacité de cette commission et la suprématie des plongeurs autonomes sur les pesants pieds lourds, la marine autorisa la création du GRS (Groupe de Recherche Sous-marine) qui formera dès 1949 les premiers plongeurs démineurs.
« Le parachute est en surface et la mine est sécurisée dans son filet » crachote la radio VHF de la timonerie du remorqueur Ailette, le navire support de l’opération. « Ok reçu, procédez au tractage de la charge jusqu’au lieu de pétardement ». Le pneumatique embraye doucement et entraîne dans son sillage la sphère jaune gonflée d’air. Après une heure d’une lente navigation, le pilote coupe son moteur. Une fois l’embarcation immobilisée, le lieutenant de vaisseau Pernot et le second maître Moulin s’immergent pour la phase finale de l’opération : la mise en place du pain de plastique, explosif nécessaire au traitement de la mine, et des deux détonateurs.
Une fois les deux plongeurs remontés, un fil électrique relié à la charge d’un côté et à un exploseur de l’autre, est déroulé à distance réglementaire. A bord du remorqueur le premier maître Ben s’assure des procédures de sécurité et engage le compte à rebours « 10, 9, 8 …..4, 3, 2, 1, pétardement ! ». La déflagration est sourde et la gerbe d’eau s’élève d’une vingtaine de mètres.
Les pétardements, action de contre-miner des engins explosifs, sont devenus des sujets sensibles. A l’époque, personne ne se préoccupait des dommages qu’ils occasionnaient. Depuis, la protection de l’environnement est au cœur de tous les débats.
Le capitaine de corvette Albepart, commandant du GPD-MED* est conscient de l’impact que les explosions provoquent sur le milieu :
- Depuis 1945 les préoccupations environnementales ont changé, mais nous ne sommes pas responsable de la présence de ces mines et l’état nous a confié la mission de les traiter. Nous nous acquittons de notre tâche sans volontairement chercher à détruire ou à nuire ».
Mais alors, faut-il laisser les mines au fond de la mer ?
- Non car la plupart contiennent des composés toxiques qui se diluent au contact de l’eau lorsque l’acier des enveloppes est percé.
Pourquoi ne pas les extraire du milieu et les traiter dans des lieux adaptés ?
- Nous ne pouvons pas prendre le risque de remonter un engin qui a séjourné 70 ans au fond de l’eau sans savoir si celui-ci ne va pas exploser dès qu’il touchera le pont du navire ou dès qu’il sera déchargé dans un port. A présent, notre façon de travailler est différente afin de minimiser notre impact sur l’environnement. Nous pétardons dans les zones plus profondes, à des endroits précis, avec moins de charges. Nous nous sommes également rapprochés des Parcs et des différents acteurs de l’environnement pour chercher et trouver ensemble des solutions. Mais pour l’instant et tant qu’il y aura des mines, nous ne pouvons pas modifier les procédures !
Une fois le matériel reconditionné, l’Ailette prend la route du sud. Demain, les démineurs seront à nouveau à pieds d’œuvres sur une autre mine, sur un autre terrain sensible. Leur travail est loin d’être terminé tant la guerre à laisser de souvenirs mortels et polluants sur le fonds des mers.
Qui trouvera la solution pour stopper les explosions et préserver ainsi les zones de tirs ?
La problématique est certainement loin d’être résolue, mais dans cette attente, les démineurs ne veulent plus pâtir de la mauvaise réputation liée à leur activité. Ils exercent un métier dangereux avec passion et professionnalisme et ne revendiquent qu’une seule chose, que cela soit reconnu.
Frédéric Bassemayousse
Texte et photos