SS Président Coolidge : le géant englouti
Un reportage de Claude Rives
Le 26 octobre 1942, le plus grand et le plus perfectionné des navires de commerce construit aux Etats-Unis, coule à Espiritu Santo, l’île la plus étendue de l’archipel des Nouvelles Hébrides — aujourd’hui République du Vanuatu. Réquisissionné par l’armée américaine en 1941, ce luxueux paquebot, venant de San Francisco via Nouméa, transportait ce jour-là 5 440 G.I. et une quantité impressionnante de matériel militaire et médical devant renforcer l’assaut final sur Guadalcanal.
Protégé par une mystérieuse « Dame à la licorne » ce géant de 200 mètres de long, jaugeant 21 936 tonnes, repose aujourd’hui entre 20 et 80 mètres de fond. Rêve mythique des plongeurs du monde entier, le President Coolidge est la plus fabuleuse et la mieux conservée des épaves de la Seconde Guerre mondiale.
Au milieu des centaines de lutjans, mérous et murènes qui en ont fait leur demeure, tout dans l’épave du President Coolidge suscite l’intérêt. Couché sur le flanc gauche, ce qui rend l’orientation un peu difficile, les neuf ponts du navire sont un véritable musée subaquatique orné de casques, de fusils, de masques à gaz, de véhicules et de pièces de vaisselle. On explore la gigantesque salle des machines, on palme dans l’échope du barbier et dans le bureau de poste, on découvre les nombreux canons chargés de protéger le navire d’ennemis qu’il n’a jamais rencontré et on se prend à rêver devant une piscine à la mosaïque multicolore qui accueillait il y a plus de 70 ans des naïades en croisière au son des orchestres du bord.
Voici l’histoire du SS President Coolidge
Baptisé le 21 février 1931 par la veuve du 30e président états-uniens, Calvin Coolidge, le paquebot SS President Coolidge est le fleuron de la luxueuse compagnie Dollar Steamship Line — du nom de son fondateur Robert Dollar. Piscines d’eau de mer, allées marchandes, gymnase, salles de bal et de cinéma, restaurants gastronomiques, multiples salons et fumoir avec cheminée de marbre antique en font le bateau favori des privilégiés qui empruntent la « Route du Soleil » : San Francisco, Honolulu, Yokohama, Kobe, Shanghai, Hong Kong, Manille.
Propulsé par une machine turbine-électrique identique à celle du Normandie, il est prévu pour transporter 990 passagers plus 324 hommes d’équipage en pouvant atteindre la vitesse de 21 nœuds; ce qui lui vaudra d’établir le record de rapidité pour la traversée Honolulu-San Francisco en janvier 1933 : 4j, 2h et 58 mn. Réquisitionné par la Commission Maritime à Yokohama le 2 juin 1941, il est repeint en vert et réaménagé en transport de troupes. Ce qui lui vaut d’être débarrassé de son mobilier en bois précieux, équipé de canons et affublé d’une multitude de couchettes et de... toilettes. Par contre le commandement sera laissé à son capitaine, Henry Nelson, un civil qui devait sans doute être l’un des seuls à pouvoir diriger ce titan des mers.
Le 26 octobre 1942, le Coolidge achève sa 7e mission militaire et après quatorze jours de traversée s’engage dans les eaux calmes du canal du Segond, chenal conduisant à Luganville, centre des opérations américaines dans l’ouest du Pacifique durant la Seconde Guerre mondiale. Mal renseigné, le commandant Henry Nelson se dirige droit sur « Hypo », un champ de mines destiné à protéger la zone d’une incursion de sous-marins japonais. Deux formidables explosions surprennent l’équipage. La salle des machines est détruite et commence à se remplir d’eau. Eclairages et communications sont coupés.
Une nappe visqueuse d’huile et de pétrole se répand à la surface de la mer. Nelson tente une manœuvre désespérée : traverser le champ de mine et échouer le bâtiment le plus près possible de la plage afin de permettre aux troupes de bébarquer dans les meilleures conditions possibles. Ordre est donné d’évacuer le navire. Des filets sont déployés et les radeaux de sauvetage sont mis à l’eau; les G.I. descendent par grappes le long des flancs tribord du navire qui gîte dangereusement. Une heure trente après le choc, le President Coolidge glisse hors du récif et s’enfonce par l’arrière dans le chenal.
En 45 minutes, plus de 5000 hommes ont débarqué dans le plus grand calme, la plupart ayant gagné le bord à pied. On ne déplore que cinq disparus et quelques blessés légers. Un exploit dû au sang-froid du capitaine Nelson ! Il fut pourtant poursuivi par l’armée américaine... mais finalement acquitté par la Cour qui admettra l’inefficacité des hommes responsables du guidage à terre. Il faut savoir que quelques semaines auparavant leur incompétance avait causé la perte du contre-torpilleur USS Tucker, pour les mêmes raisons et dans les mêmes circonstances !
Le naufrage du Coolidge fut une catastophe qui coûta des millions de dollars et retarda les opérations militaires aux îles Salomon. Outre les 5000 hommes qu’on a du accueillir et nourrir sur place il a fallu remplacer d’urgence l’arsenal militaire : artillerie, camions, jeeps, munitions… perdus sous l’eau mais surtout le matériel médical qu’il transportait, en particulier tout le stock de quinine du Pacifique (250 000 doses) destiné aux soldats pour lutter contre la malaria dont ils souffraient sous ces latitudes.
Suivant le vieil adage « Le malheur des uns fait le bonheur des autres »
Le malheur fut la disparition de cinq hommes, mais seulement cinq — certaines sources n’en recensent que deux — et la perte de tout ceux tombés au combat dans le Pacifique à cause du retard dû à ce naufrage. En plongeant sur cette fabuleuse épave, il est bon d’avoir une pensée pour eux.
Le premier bonheur c’est que le President Coolidge est dans un état de conservation remarquable. Après la guerre, le matériel militaire contenu dans ses cales ainsi que sa machinerie et ses deux énormes hélices susciteront la convoitise de diverses entreprises de récupération. Mais étant donné l’isolement de l’île au milieu du Pacifique et les moyens logistiques qu’il fallait financer et déployer, peu de choses ont disparu. Et pour le plus grand plaisir des plongeurs, le 18 novembre 1983 le gouvernement de la toute jeune République du Vanuatu — le Vanuatu s’est affranchi de la colonisation française et britannique et a obtenu son indépendance en 1980 — a classé le Coolidge en zone protégée et a interdit toute récupération sur le navire.
Le deuxième bonheur c’est que le paquebot a glissé le long d’une pente douce et repose entre 20 et 80 mètres, constituant ainsi la plus grande épave accessible au monde aux plongeurs de « presque »tous niveaux; le rêve de tout individu palmé souhaitant explorer un géant des mers par faible profondeur, avec en plus le luxe de pouvoir se mettre à l’eau de la plage et de n’avoir qu’une cinquantaine de mètres à nager avant d’en découvrir l’étrave. Je dis « presque » car l’imposante carcasse est un véritable labyrinthe et il n’est pas question de s’y rendre sans être accompagné d’un moniteur ayant une parfaite connaissance du site.
En participant à la mision « Santo 2006 » mise en place par le Muséum National d’Histoire Naturelle, Pro-Natura et l’Institut de Recherche sur le Développement et réunissant 160 scientifiques de plus de 25 nations j’ai eu la chance de passer presque un mois à plonger sur le Coolidge — un privilège rare —en compagnie de Cédric Verdier, spécialiste des recycleurs en plongée profonde. Nous avons minutieusement exploré l’ensemble du Coolidge, utilisant pour cela des recycleurs à circuit fermé Evolution et Megalodon afin d’accroître notre temps de plongée et d’explorer au Trimix les parties les plus profondes de l’épave. Le matériel emporté consistait le plus souvent en trois ou quatre appareils avec flash et éclairages continus de 2 fois 800 watts, plus les recycleurs et les bouteilles de secours. Autant d’équipements à transporter le long des 200 mètres d’une épave aux allures de cathédrale au milieu d’une faune sous-marine exubérante et peu farouche. Sans doute l’une des épaves les plus riches et les plus envoûtantes que Cédric et moi, pourtant tous deux grands amateurs de tôles immergées, aient eu l’occasion d’explorer et de photographier.
Et pour finir de vous tenter, voici « The Lady », l’énigmatique trésor du Coolidge
A 45 mètres sous la surface, tout au bout d’une longue coursive obscure, « The Lady » symbolise la vie du President Coolidge lorsqu’il était un somptueux paquebot sillonnant le Pacifique. Surplombant le manteau de la cheminée du fumoir, cette faïence, visible sur les photos d’époque, a conservé tout son éclat. Baptisée “La dame à la licorne”, cette fresque fascine tous les plongeurs qui l’ont contemplé. Aujourd’hui la dame a perdu sa main droite et la licorne sa corne, mais son état de conservation est étonnant malgré des années d’immersion. Certains y voient une ressemblance avec l’énigmatique sourire de La Joconde mais les experts penchent plutôt pour une représentation de la reine Elisabeth I : la présence de deux roses, l’une à sa gauche et l’autre sous la patte gauche de la licorne l’attestent, mais d’autres théories circulent et le mystère n’est toujours pas résolu. Avis aux amateurs.
Claude Rives
Texte et photos
Informations et photos supplémentaires sur notre page
Espiritu Santo
L’île d’Espiritu Santo attire chaque année plus de plongeurs que toutes les autres îles du Vanuatu réunies. La plongée à Espiritu Santo fait partie des incontournables à plusieurs titres.
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