Puerto del Carmen, baie des anges
Séjour plongée à Lanzarote aux Canaries
Un reportage de Pascal Kobeh
L’inconvénient des petites palanquées (outre notre guide, nous ne sommes que deux), est que l’autre groupe voit toujours ce qu’on a loupé et que l’on aurait aimé voir. Pourtant, tout avait été posé cartes sur table par Géraldine : « Comme première, je vous propose une plongée macro. Nous avons toute une population d’hippocampes et je sais où ils se trouvent ». Nous voilà donc partis à trois de la plage de « Playa Chica » pour le haut de « Cathedral » (15 m de profondeur) à la recherche de nos petits chevaux de mer.
Comme d’habitude, je traîne en route. La faute à de multiples petits rambous (espèces de soles ou turbots) qui parsèment le fond de sable, d’innombrables petites rascasses qui se disputent le moindre caillou avec des poulpes assez coopératifs, ou encore aux rougets qui farfouillent le sol de leurs barbillons et dégagent un nuage de sable qui attire des labres et autres maraudeurs en quête d’une proie facile. S’ils ne sont pas faciles à déceler, (leur imitation des algues qu’ils habitent est vraiment parfaite), les hippocampes sont bien là, et en nombre. Ce sont au moins une bonne demi-douzaine d’individus (hippocampes mouchetés ou à long bec, Hippocampus guttulatus et hippocampes à nez court, Hippocampus hippocampus) qui prennent un malin plaisir à détourner la tête de l’objectif, dans un excès de pudeur, je n’ose dire de crainte.
Et au retour, Nicolas, l’autre guide qui a emmené sa palanquée quelques centaines de mètres plus loin, pose la question qui fâche : « vous l’avez vu ? ». Même si je sais parfaitement de quoi il parle, pour retarder l’échéance, je tente quand même : « quoi donc ? ». La réponse fuse qui fait grimacer d’envie : « le requin ange. Il est venu tourner autour de nous, trois ou quatre fois. C’était super ». A voir la mine réjouie de ses quatre plongeurs, je veux bien le croire. En danger critique d’extinction selon le classement de l’IUCN (en anglais, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature), l’ange de mer ou requin ange (Squatina squatina), chondrichtyen élasmobranche (autrement dit, requin) qui peut atteindre 2,50 m, fait la réputation des Canaries et spécialement de Lanzarote.
Pour l’anecdote, la baie comprise entre Nice et Antibes porte son nom en raison de sa présence, il y a hélas maintenant fort longtemps. Présent dans les eaux de Lanzarote de novembre à mars, il a été facilement observé en 2017 jusqu’en septembre (dérèglement climatique ?...). Ce qui permet à Géraldine de se faire rassurante : « ne vous inquiétez pas, c’est bien le diable si on ne le voit pas avant la fin de la semaine » (précision : semaine du 3 au 10 novembre). La plupart du temps, très bien enterré dans le sable, il attend patiemment ses proies (poissons osseux, raies, crustacés et mollusques) avant de les engloutir en projetant en avant sa gueule béante. Seuls ses yeux, et parfois l’extrémité de l’aileron caudal dépassent du sable, ce qui le rend extrêmement difficile à observer.
Inutile de souligner qu’à la plongée suivante, sur un tombant appelé « le Véril », les regards se tournaient plus vers le fond que dans le bleu au-dessus de nous. Et le défilement devant l’objectif des sars, des poissons-perroquets, des barracudas, des mérous, des seiches, des poulpes, des crevettes, des crabes, des nudibranches, des pleurobranches… ne compense pas l’absence cruelle de la star tant désirée. « Ce n’est pas grave, de toute façon je suis en macro et il me reste encore cinq jours » je me dis en mon for intérieur, pour dissiper l’anxiété du chasseur (d’images) qui ne veut pas rentrer bredouille.
Et le lendemain, muni d’un objectif grand angle pour forcer le sort, que ce soit à « Blue Hole » ou au « Sable », point de requin ange. Un peu inquiet, je me dis que son statut d’espèce en voie de disparition n’est pas usurpé et que ce qui me semblait une formalité, selon tous les articles et autres photos affichées, me semble être un parcours du combattant. Si les charbonniers sont bien connus pour avoir la foi, celle qui anime le photographe sous-marin désireux de rapporter les clichés qui font mouche n’a rien à lui envier. Et il est vrai que tout vient à point à qui sait attendre, même sous l’eau.
Les trois jours suivants, comme pour exorciser le mauvais sort des deux premiers jours, ce fut un festival de requins anges. Un juvénile de trente cm à « Cuevas de las Gambas », plusieurs adultes, enterrés ou nageant tranquillement sur le fond, comme à « Los Pecios », une plongée sur deux épaves coulées il y a une vingtaines d’années pour en faire un récif artificiel. Il nous est également arrivés d’en observer cinq ou six à « Playa Negra » où les requins tentaient de détourner mon attention d’une raie aigle de mer commun (Myliobatis aquila) tout à sa gloutonnerie, en train de fouiller profondément le sable et n’ayant cure des plongeurs autour d’elle.
C’est le cœur plus léger que j’abordais le jour suivant le fameux site du « Museo Atlantico », à la fois récif artificiel et œuvre d’art spectaculaire avec de nombreuses scènes où des statues grandeur nature, représentent le rapport de l’homme à la nature et dénoncent les questions sociales et écologiques actuelles, comme celle des migrants, du vortex de déchets en plastique, représentés par environ deux cents corps humains entrelacés. Si les impressions de mes compagnons de palanquée étaient mitigées à la sortie, entre ceux qui apprécient le côté saisissant de cette œuvre sous-marine et ceux qui sont rebutés par son aspect parfois morbide, elle ne laisse personne indifférent, principale intention de l’artiste.
Chef-d’œuvre pour les uns ou mystification pour les autres, le « Museo » n’est en tout cas pas le seul trésor de Lanzarote, qui en recèle de nombreux autres, à commencer (pour moi) par le requin ange, mais aussi au-dessus de l’eau, où par la volonté de César Manrique, artiste engagé dans le développement de l’identité culturelle de son île natale en lien avec son environnement naturel, de nombreux sites méritent qu’on s’y attarde. Ce n’est pas pour rien qu’en 1993, Lanzarote a été reconnue par l’UNESCO, comme réserve de biosphère. Et le fait que le soleil y brille toute l’année, ne gâte rien !
Pascal Kobeh
Texte et Photos