Les baleines de Minke
Croisière plongée en Australie sur la Grande Barrière de Corail
Un reportage de Pascal Kobeh
Cramponné à une vieille chambre à air en pleine mer, je regarde mes voisins à gauche à droite pour me rassurer. Peine perdue ! Tous deux, la tête dans l’eau, ne prêtent aucune attention à ce qui se passe au-dessus de la surface. Je suis ballotté par une mer formée dans des creux pas très éloignés du mètre. Mais que donc suis-je venu faire ici ? Comment ai-je pu en arriver là ? Et pourtant 5 minutes plus tôt l’ambiance était excellente, en présence de très sympathiques compagnons de table. Le déjeuner aussi était succulent. Tout cela passait bien, bercé par le bateau et dans un brouhaha de passionnés.
Pour l’heure ce déjeuner, trop copieux, avalé trop rapidement, me pèse sur l’estomac, lui-même copieusement contracté par la chambre à air et qui remonte de 30 cm au moins à chaque vague. La nausée n’est pas loin pour cet homme à la mer dont je suis l’image même. De mes deux voisins, la tête toujours dans l’eau, je ne peux dire s’ils sont noyés ou en train de rendre aux poissons le même repas. Finalement j’opte pour une troisième option : ni naufragés du Pacifique, ni « snorkeleurs » en perdition, tout simplement observateurs attentifs et captivés.
Tout cela est en fait de la faute de « Penelope Pyramid », gentille femelle de 6 m pour un poids de 5 à 6 t. Elle a fait sa première apparition sur la scène australienne le 18 juin 2002, puis un come-back en juin 2004 avec enfin sa dernière représentation aujourd’hui, 14 juillet. A l’instar de ses congénères on la nomme « dwarf minke whale », la baleine de Minke naine, encore appelée petit rorqual, rorqual museau pointu, rorqual nain, reconnue comme une espèce à part entière vers le milieu des années 80 seulement. Et comme toutes ses congénères, les taches qu’elle présente sur le corps servent à l’identifier.
Elle tire son nom du patronyme d’un capitaine de bateau allemand du 19ème siècle, Meincke, qui la confondit, à cause de son museau pointu avec une baleine bleue, pourtant bien plus grande. Pour se moquer de lui ses marins et par la suite tous les marins appelèrent ces individus les baleines de Meincke qui devint Minke avec le temps.
Sans verser dans le cours de biologie, un rapide éclairage va nous les rendre plus familières. Appartenant à l’ordre des cétacés, au sous-ordre des mysticètes (les cétacés ou baleines à fanons), les baleines de Minke se divisent en deux espèces, la « vraie » baleine de Minke, Balaena acutorastrata, de l’hémisphère nord et la baleine de Minke de l’Antarctique ou rorqual boréal, Balaena bonaerensis que l’on trouve dans l’hémisphère sud comme son nom l’indique. Une bande blanche qui coupe la nageoire en deux caractérise la première espèce, alors que la seconde possède une nageoire gris sombre, unie. Outre par sa taille, l’espèce naine (naine car le plus grand individu mesuré à ce jour ne dépasse pas 7,8 m pour 5 à 6 t, contre respectivement 10 et 15 m et 7,5 et 25 t pour les deux autres espèces) se distingue par la base de sa nageoire et par son épaule blanches ainsi que par une grande tache sombre sur la gorge. Bien qu’on ne la trouve que dans l’hémisphère sud, sa morphologie, la structure de son squelette, les taches qui parsèment son corps et ses caractéristiques génétiques l’apparentent plus à la baleine de Minke de l’hémisphère nord dont on pense aujourd’hui qu’elle constitue une sous-espèce pas encore dénommée.
Le fait que l’on ne sache quasiment rien d’elle rajoute à l’excitation des scientifiques et des touristes en ce mois agité de juillet dans la moitié nord de la Grande Barrière de Corail australienne où, à cette période ont lieu 80% des observations de cette espèce. En effet, bien que l’on ait déjà observé cette espèce en Afrique du Sud, en Nouvelle Zélande, au Vanuatu, sur la côte est de l’Amérique du Sud, et entre décembre et mars, dans les eaux subantarctiques, c’est ici qu’on l’observe le mieux. La grappe humaine accrochée au cordage, rêve de l’immortaliser à chacun de ses passages. Et effectivement, il y a de quoi en regardant cette masse passer parfois à 2 m de nous, réplique miniature du plus grand animal vivant sur terre, la baleine bleue, Balaenoptera musculus pour l’état civil, (30 m de long). Rêver et découvrir qu’au contraire des baleines à dents (odontocètes), mâles et femelles sont sensiblement de la même taille, que leur corps porte parfois de nombreuses cicatrices dues très certainement à des attaques de requins tigres, requins blancs et surtout du squalelet féroce (Isistius sp.), petit requin de 50 cm qui arrache des morceaux de chair avec sa mâchoire inférieure en laissant une trace ronde ou ovale très caractéristique.
Reconnaître également les individus à la forme de leur tache sur l’épaule, car, lors de certaines rencontres nous auront jusqu’à 12 individus. Rêver et espérer un comportement spectaculaire, tel qu’un saut complet hors de l’eau ou tout au moins de voir la tête sortir à la verticale, comme si à son tour elle avait décidé d’observer ces drôles de créatures pataudes flottant à la surface de leur univers, tel aussi un lâcher de bulles ou encore un tour complet sur elle-même en nous présentant son ventre blanc, ou enfin, plus rare, la voir ouvrir la cavité béante de sa bouche. Tout se mérite ; si certaines attitudes feront de nous des observateurs chanceux et privilégiés, d’autres nous seront refusées. Cependant chaque remontée à bord fera immanquablement l’objet de commentaires émerveillés et, numérique aidant, observation et comparaison immédiate des clichés et séquences vidéo.
Ainsi, les croisières « baleines de Minke » sont probablement uniques au monde. Dans un nombre croissant de pays il devient de plus en plus difficile d’approcher les baleines, même en bateau. Quant à nager avec elles, c’est tout simplement prohibé. Ceci dans un louable souci de protéger les bêtes d’intrusions aussi massives que maladroites et stressantes et, en fin de compte, nuisibles. L’Australie et l’Etat du Queensland dont dépend cette partie de la Grande Barrière n’échappent pas à la règle. A titre d’exemple, la loi stipule que les bateaux doivent rester 100 m derrière les baleines et 300 m devant. Il est interdit de nager vers elles à moins de 30 m et bien sûr d’avoir le moindre contact physique.
Le travail mené en amont et en profondeur avec les scientifiques, sommités internationales, dans leur domaine, a permis de développer une approche originale, constructive et intelligente de la plongée avec les animaux. L’idée de base est la suivante. Puisque pourchasser (que ce soit en bouteille ou en PMT) les baleines constitue une nuisance souvent stérile à leur encontre, autant étudier et développer la démarche inverse. L’interaction homme-animal va revenir à l’initiative de la seule baleine. Et ça marche ! Nous sommes devenus, accrochés à nos chambres à air et immobiles, le sujet de curiosité de l’animal. C’est lui qui vient à notre rencontre, nous passant devant le nez pour nous observer.
Aucune règle n’est transgressée, puisque les rôles sont inversés. Ce genre de démarches, associées à de nombreux films, projections et conférences tout aussi passionnantes que pleines d’humour permettent d’acquérir le savoir indispensable pour jouir de ces moments privilégiés dans l’eau et d’avoir le sentiment de participer à l’avancée des connaissances et d’assurer un meilleur environnement à des créatures qu’on apprend à connaître et aimer. Plonger « intelligent » pour ne pas mourir idiot en somme !!!
Pascal Kobeh
Texte et Photos