L’apnée profonde
Conseils, matériel, technique, entrainement à l’apnée profonde.
L’apnée profonde est considérée comme la discipline reine. Au-delà du mythe du Grand Bleu ou de la quête des chiffres, elle symbolise l’essence de ce sport : un lien incroyablement intime entre corps et esprit, qui permet d’emmener l’humain là où, il y a 30 ans encore, on disait qu’il finirait écrasé comme une boîte de conserve.
Le matériel
Sauf entrainement en fosse, l’apnée profonde se pratique dans un milieu naturel qui dicte la bonne combinaison à porter. En eau chaude ou tempérée, un vêtement de nage peut suffire ; en eau tempérée, la combinaison 2 pièces et sa cagoule intégrée s’imposent. On vise à réduire l’épaisseur pour diminuer la flottabilité initiale qui coûte cher en oxygène au début de la descente.
Le masque doit avoir le plus faible volume qui soit pour éviter de se gaspiller en équilibrage : beaucoup de compétiteurs renoncent à cet accessoire et se contentent d’ouvrir les yeux pour saisir la plaquette de fond. Les lentilles inaugurées par Mayol ou Pelizzari ont aujourd’hui fait place à des « fluid goggles », des lunettes de natation remplies d’eau pour empêcher le coup de ventouse et dotées d’une lentille bombée permettant une vision à peu près nette en profondeur.
Le pince-nez spécialement adapté à l’apnée permet d’équilibrer sans avoir à pincer le nez, et donc de gagner en fluidité pendant la descente.
Bi ou monopalmes, chacun utilise ce qui correspond le mieux au but recherché : en apnée verticale, la monopalme est plus efficace, mais pour qui veut évoluer en profondeur, les bi-palmes offrent plus de liberté de mouvement.
Le lestage pour l’apnée profonde peut se répartir entre nuque et ceinture : l’apnéiste se doit d’avoir une flottabilité largement positive en surface, tandis que le point de flottabilité neutre sera déterminé en fonction de la profondeur visée.
L’ordinateur avec alarmes de temps ou de profondeur devient un précieux allié : l’apnéiste peut se repérer sans lire les instruments et ajuste ses actions au fur et à mesure des signaux acoustiques. Essentielle également, la fonction « intervalles de surface » garantit la récupération entre les plongées.
Enfin, et même si on s’en passe souvent dans l’apnée sportive moderne, le tuba reste un accessoire essentiel de l’apnée traditionnelle : Pelizzari, lors de son dernier record du monde en 99, se ventilait encore au tuba avant la descente. Attention néanmoins à la règle de sécurité qui dit que le tuba ne reste jamais en bouche durant l’apnée !
L’équipement du site
Les entrainements ou les compétitions se déroulent le long d’un bout - un câble - suspendu à un support de surface (plateforme, bouée, bateau) et lesté en son extrémité inférieure.
Au vu des profondeurs atteintes aujourd’hui, la sécurité ne peut plus être assurée par des plongeurs scaphandre ; c’est une longe fixée au poignet ou à la ceinture qui relie l’apnéiste au câble et évite qu’il se perde dans le bleu.
Le câble passe en surface par un bras de potence qui le renvoie à un contrepoids : en cas de problème, il suffit de relâcher le contrepoids pour que l’apnéiste soit remonté vers la surface. Pour disposer d’une référence précise, la corde est d’abord déroulée et mesurée à terre, puis on place des repères visuels qui indiquent la profondeur tous les 5 ou 10 mètres. Au fond, la longe vient buter sur une balle de tennis placée au-dessus de la plaque lestée : l’apnéiste ne peut ni poursuivre vers les abysses, ni partir dans une direction autre que celle de la remontée.
Pour améliorer la vision et faciliter l’arrivée au fond, le système peut inclure un phare orienté vers le haut, que l’apnéiste garde en mire et voit grossir durant sa chute libre.
Descente et compensation
Après la dernière inspiration, le tuba est retiré de la bouche et le plongeur bascule tête la première en « canard ». La technique doit être parfaite pour éviter de gaspiller ses réserves en palmant hors de l’eau :
- 1. Prendre sa dernière inspiration, retirer le tuba, équilibrer.
- 2. Donner une légère impulsion à la palme et plier le corps à 90° au niveau de la taille, les ras pointant dans la direction visée.
- 3. Dresser les jambes hors de l’eau et tracter sur les bras pour faire passer le corps et les palmes sous la surface.
- 4. Commencer à palmer lentement, équilibrer régulièrement.
- 5. Passé le point de flottabilité neutre, couler en chute libre (« free-fall ») et équilibrer au besoin.
La compensation est souvent un obstacle majeur en profondeur : même ceux chez qui les oreilles passent sans mal peuvent buter lorsque le volume résiduel est atteint et que plus aucun air n’est disponible pour une traditionnelle Valsalva.
De fait, les apnéistes préfèrent de loin la méthode de Frenzel, qui exploite une faible quantité d’air stockée dans la bouche renvoyée vers les trompes d’Eustache en relevant l’arrière de la langue. Effectuée nez pincé comme la Valsalva, la Frenzel ne demande qu’un très faible volume de gaz : les plongeurs habitués au « plop » brutal de la Valsalva sont souvent surpris de voir leurs oreilles s’équilibrer avec tant de facilité.
La technique suprême de la compensation est la « Béance Tubaire Volontaire » (BTV), ou méthode Delonca. Basée sur une contraction des maxillaires que chacun peut apprendre à réaliser, cette technique n’est pourtant facile que pour ceux qui prédisposent de trompes d’Eustache plus larges que la moyenne. L’avantage est immense, puisque l’effort nécessaire durant la descente se réduit au minimum et que même passé le stade du volume résiduel, l’apnéiste capable de BTV continue sa chute libre sans souci !
Virage et remontée
Grâce aux alertes acoustiques, aux repères sur le câble, et au phare fixé au fond, il est facile de se situer durant la descente même les yeux fermés. Passées X alertes, une alarme, ou la plaque de fond indique qu’il est temps de saisir le câble pouce vers le haut pour se tracter au début de la remontée. C’est là que se produit l’effort le plus violent : un apnéiste est négatif en profondeur et paie le prix d’une chute libre jouissive par un poids lourd à arracher du fond. Les premiers mètres demandent une concentration totale pour maximiser la poussée sans effort inutile et rejoindre d’abord le point de flottabilité neutre, puis exploiter la flottabilité positive pour parcourir les derniers mètres en économie totale. Cette zone est aussi la plus délicate de la remontée : c’est là que l’apnéiste s’expose au « black-out ».
Pour pallier cette possible défaillance, la fin de la remontée est toujours accompagnée d’un apnéiste de sécurité venu nous rejoindre à une profondeur qui dépend de celle de la plongée elle-même.
Face au plongeur, l’apnéiste de sécurité apporte un réconfort et peut observer ses mouvements ou le regarder dans les yeux pour anticiper un évanouissement. Une sécurité toujours nécessaire, même sur des « petites » apnées, qui reflète bien le mantra « ne jamais plonger seul ». À l’arrivée en surface, la priorité est la récupération ; retirer masque, lunette et pincenez facilite le retour à la réalité et fait partie du protocole officiel en compétition. Durant cet instant essentiel, il faut pouvoir s’appuyer sur une bouée ou se raccrocher au câble, puisque c’est lorsque l’on se croit hors de danger que des symptômes (spasmes, tremblements peuvent se manifester. Passé 15 à 30 secondes, le plongeur peut confirmer qu’il se sent bien.
Vient alors le temps de se reposer, d’assurer la sécurité d’un autre plongeur, ou tout simplement de se détendre, et d’entamer sereinement une nouvelle préparation au voyage du bleu.
Texte et photos : Phil Simha
Apneiste : Remy Dubern - Blue Addiction
Les disciplines de l’apnée profonde
• Poids constant (CWT) : avec (mono)palme(s), l’apnéiste descend et remonte sans
variation de lestage.
• Poids constant sans palmes (CNF) : sans palme(s), l’apnéiste descend et remonte sans
variation de lestage.
• Immersion libre (FIM) : sans palmes, l’apnéiste descend et remonte sans variation de
lestage, mais en se tractant le long du câble.
• Poids variable (VWT) : l’apnéiste descend au moyen d’une gueuse lestée et remonte à
la palme, avec ou sans traction sur le câble.
• No Limits (NL) : l’apnéiste descend au moyen d’une gueuse lestée et remonte à l’aide
d’une bouée.