Respirer pour l’apnée
Le besoin de respirer
Demandez à un ami que vous n’avez plus vu depuis quelques temps comment il va et vous entendrez souvent dire : « J’ai plus une minute pour respirer ! » Symptomatique, cette phrase révèle une époque où l’on s’éloigne toujours plus des besoins fondamentaux pour céder au rythme du temps réel. Cela explique en partie le succès de l’apnée, qui n’est possible qu’en prenant le temps de bien respirer et justifie également que le yoga, surtout le Pranayama (énergie du souffle), inspire une indispensable capacité de relâchement. Car si de brèves apnées font partie de notre vécu respiratoire, retenir son souffle plus que de nature est une forme d’autocontrôle. Lors d’une apnée volontaire, ce n’est pas le manque d’oxygène qui suscite le besoin de respirer, mais le taux élevé de CO2 (dioxyde de carbone, déchet de la combustion d’oxygène) qui transmet au cerveau le signal de respirer. S’ensuit inévitablement une contraction visant à relever le diaphragme pour nous obliger à expulser le CO2 : à preuve, à la fin d’une apnée, le besoin premier est celui d’expirer, pas d’inspirer.
Et donc, la clé de l’apnée réside bien dans la maîtrise de ce besoin aussi vital que fondamental
Respirer pour l’apnée
La respiration passe par le nez, équipé de filtres, d’humidifiants, et d’une climatisation qui régule la température de l’air inspiré. Mais pour l’apnée, le port du masque ou du pince-nez justifie la ventilation buccale. Avant l’apnée, l’objectif est double : se détendre et parvenir au relâchement maximal en se débarrassant d’un maximum de CO2, puis remplir ses poumons autant que possible. La respiration abdominale est idéale au début du processus : alors que le coeur accélère à l’inspiration et décélère à l’expiration, le rythme varie peu lorsque la respiration est uniquement ventrale : un avantage dans l’économie d’oxygène. Cette quête est renforcée par des expirations plus longues que les inspirations, purgeant le CO2 et retardant le besoin de respirer. On va donc se concentrer d’abord sur la respiration abdominale, puis passer du mode diaphragmatique aux ventilations complètes en remplissant d’abord le bas des poumons, puis le volume central, et enfin le troisième étage, en haut des poumons. Le tout sans forcer ni créer de tension.
Respirer pendant l’apnée
Passée la dernière inspiration commence le voyage. Au début, la nature fait des merveilles, le réflexe du mammifère marin se met en place, le pouls ralentit (bradycardie) et la sensation est un bien-être liquéfiant. Cette phase est dite « easy going », là où les choses vont facilement. En statique, elle favorise un scan complet du corps et le relâchement des tensions : on se concentre sur des couleurs, on se raconte une histoire. Tôt ou tard pourtant, le taux de CO2 atteint la limite et le besoin de respirer apparait.
C’est là où le mental joue son rôle : le système nerveux exige une expiration libératrice, mais le cerveau sait qu’il dispose d’une réserve suffisante pour poursuivre. Le système nerveux insiste, veut forcer l’expiration : ce sont les contractions qu’il faut apprendre à gérer et c’est là que le risque de syncope intervient. L’apnéiste passe outre les signaux, finit en privation d’oxygène, et le cerveau se met en pause pour préserver les fonctions vitales. Lorsqu’un binôme est présent, il récupère le syncopé, lui tapote la joue, souffle sur son visage et lui parle pour le ramener à lui : la syncope n’est alors que de courte durée. Mais si un apnéiste est seul, le risque de noyade est manifeste, comme le prouvent chaque année les morts inutiles qui encouragent à répéter sans fin le mantra de l’apnée : « Never freedive alone – ne pratique jamais l’apnée seul ! »
Après l’apnée
L’essentiel à la sortie d’une apnée est de repourvoir le corps en oxygène, puisque l’hypoxie peut obliger le cerveau à se mettre en veille pour préserver les organes vitaux. La première manifestation en est la perte de contrôle moteur (PCM ou « samba » ) : l’apnéiste présente des spasmes et « oublie » de respirer à la sortie de l’eau, mais un simple rappel va le ramener à la réalité. La syncope (« black-out »), est une perte de connaissance réelle : elle peut se produire sans signe précurseur. Elle est l’ennemi mortel de l’apnéiste et ne peut pas être reconnue comme une norme acceptable, même lors de la recherche de performance ou en compétition. Pour récupérer efficacement, l’expiration doit être aussitôt suivie d’inspirations actives et d’expirations passives.
Il existe différentes approches de la récupération respiratoire, mais toutes les écoles se rejoignent et confirment que la bonne gestion du retour en surface est une priorité absolue de l’apprentissage.
Méditation et mental
Vous l’aurez compris, une bonne partie de l’apnée se joue dans notre esprit : nous sommes condamnés à nous détendre dans un contexte proche de l’état de survie. Mais il faut aussi savoir se renforcer mentalement par le biais d’une forme d’autopersuasion comparable à la méthode Coué :
1. Je suis détendu – la condition préalable à mon bien-être et à toute performance.
2. Je suis en moi, ici et maintenant – plutôt que sur un objectif, je me concentre sur les sensations, seconde par seconde, mètre par mètre.
3. Je tolère le besoin de respirer – je sais que des contractions vont arriver mais je reste relâché.
4. J’ai un ancrage – je sais qu’en me concentrant, je peux poursuivre.
Avant de se faire violence, il faut d’abord connaître l’état de bien-être propre à l’apnée : ceux qui pratiquent la méditation y trouvent des similitudes avec le yoga nidra, un sommeil lucide qui induit un état de relaxation profond ; d’autres y voient des ressemblances avec la pleine conscience ou le training autogène. On perçoit en tous cas, bien avant l’effort physique, une relation intime à instaurer avec notre corps. Chacun doit savoir affiner sa voie et explorer ses sentiers personnels.
Mais ce qui est sûr, comme le souligne Umberto Pelizzari, c’est que : « Après un stage, ce n’est pas la performance que les gens recherchent, mais avant tout les bienfaits ressentis grâce à la respiration et au relâchement. La vraie découverte de l’apnée se trouve bien là ! ».